Les colibris de la fraternité

 Saint-Pierre de Chartreuse, 26-28 août 2016. La 3ème  édition des Entretiens de Chartreuse a plongé à la fin de l’été une cinquantaine de participants dans une réflexion collective et interdisciplinaire autour du projet de la fraternité, jamais complètement abouti mais seule porte pour entrer et grandir en humanité.

« Nous sommes comme des colibris, chacun de nous ramène ce qu’il y a de bon pour le transmettre là où il vit », partage à la fin de la rencontre Farid Ait Ouarab, porte-parole des Scouts musulmans de France (SMF). « C’est une joie, un bonheur, un honneur d’être avec vous. J’ai vu les sourires, la lumière qui jaillit en vous, la fraternité à travers les échanges », venait-il d’exprimer avec une émotion discrète. Participant et intervenant, Farid portait un foulard scout aux couleurs de la France. Accroché à son polo, on pouvait lire sur un petit pin’s « Désir de paix ». Un désir qui se traduit en actions avec les jeunes, pour les jeunes chez les SMF porteurs de la devise : « Se rassembler sans se ressembler ». D’ailleurs, ils croulent sous les demandes mais ne peuvent y répondre par manque de personnes formées pour encadrer les jeunes. Nous sommes entrés dans la fraternité en Islam de manière très concrète.

D’autres interventions nous ont fait voler dans les hautes sphères de l’esprit (avec Hugues Louvet en philosophie), descendre dans nos tripes (avec Rose-Line Coureau et son texte « Sortir de la haine »), voyager dans la Bible (avec Jean-Pierre Rosa) et l’histoire (avec Didier Dastarac). Découvertes étonnantes du côté de la biologie avec Pascal Gourbeyre sur le mutualisme[1] et la coopération comme moteurs principaux de l’évolution des espèces, enthousiasme avec Elena Lasida et le secteur bouillonnant de l’économie sociale et solidaire, entrée dans l’expérience de la fraternité vécue au cœur de l’Eglise orthodoxe (avec Natalie Depraz), contemplation de deux poètes devenus le c(h)œur de silence des réprouvés de leur temps (avec Jean-Paul Teyssier), humilité face aux personnes malades ou en fin de vie (avec Bernard Cramet). Voilà quelques-unes des attitudes intérieures ressenties face à des exposés qui ne restaient pas lettre morte, l’esprit des Entretiens voulant prendre le risque du partage.

Les échos étaient multiples et à plusieurs niveaux : à la suite des interventions, dans  les échanges entre les personnes présentes, aux moments des repas et des pauses, en résonance avec la vie de chacun. La neurobiologiste Catherine Belzung a expliqué en quoi la différence est l’élément déclencheur de la rencontre de l’autre, à quelles conditions cela peut marcher, quelle posture permet de contenir l’autre sans se laisser envahir (la distinction). Un retour aux sources de la spiritualité des Focolari (avec Alain Pradeau) revenait sur la nécessité d’être ce ‘rien d’amour’ avec l’intention de tout perdre – momentanément – pour entrer dans le monde de l’autre.

Richesse intense de ces heures tendues vers la compréhension et le vécu de la fraternité, un chemin peut-être long à parcourir avec certains, et qui peut parfois sembler impossible, même au sein de sa propre famille de sang. Un don, un projet qui nous mobilise dans notre fragilité. Une conquête de chaque instant qui nous place depuis les origines dans la condition de fils d’un même Père. C’est l’oubli de cette paternité absolue qui explique la présence des guerres dans l’histoire. « Aucune volonté collective ne peut décider de cette fraternité si elle ne s’enracine pas au cœur de chaque homme », exposait Hugues Louvet. Les Entretiens de Chartreuse ont enraciné un peu plus en chacune des personnes présentes ce désir et cet immense projet d’être des frères en humanité, tous les jours, un peu plus.

Émilie TÉVANÉ

[1]    Interaction entre deux espèces, dans laquelle les organismes impliqués tirent tous les deux profit de cette relation. On parle alors d’une interaction à bénéfices réciproques.

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